On considère souvent la liaison (ainsi que l'élision) comme une méthode de résolution euphonique des hiatus, suivant en cela une opinion émise au XVIIe siècle déjà par les théoriciens du vers classique. Mais cette thèse est aujourd'hui très sérieusement contestée par des études s'appuyant sur l'histoire de la langue aussi bien que sur les processus d'apprentissage mis en œuvre par les enfants. Il ne semble pas, en effet, que l'usage spontané du français ait jamais connu une règle générale d'évitement des hiatus.
Alors que, dans l’écriture, la liaison (potentielle ou effective) est représentée par la dernière lettre du premier des deux mots qu'elle unit, dans la langue orale, c’est au début du deuxième mot qu’elle se fait entendre. Ainsi, si, pour quelque raison, une pause est marquée entre « les » et « enfants » dans « les enfants », on dira /le zɑ̃fɑ̃/ et non /lez ɑ̃fɑ̃/.
À la différence des consonnes parfois dites « éphelcystiques » (comme le /t/ dans donne-t-il), la consonne de liaison est conditionnée par l'étymologie et la phonétique historique de la langue : c'est une consonne finale ancienne qui s'est amuïe mais qui est susceptible de se maintenir devant une voyelle initiale. Ainsi, on peut considérer, sous l'angle synchronique et grammatical, qu'il s'agit d'une modification de certains mots tandis que, sous l'angle diachronique et phonétique, c'est la survivance, dans certains contextes, d'une prononciation plus ancienne.
Plus la cohésion grammaticale de deux mots est forte, plus la liaison aura de chances d'intervenir entre eux. La plupart des liaisons absolument spontanées et inévitables prennent place entre un mot principal et un clitique, mot outil dépourvu d'accent tonique propre mais qui constitue un seul groupe accentuel avec ledit mot principal. Grossièrement, on a tenté de définir trois catégories de liaisons en français. On distingue : la liaison obligatoire, la liaison facultative et la liaison interdite (disjonction).
Mais la délimitation entre ces trois catégories est à prendre avec prudence car elle est très loin de faire l'unanimité. La distinction entre liaison facultative et liaison interdite est particulièrement floue : des liaisons que certains admettent comme pédantes ou recherchées peuvent être insupportables à d'autres. Certains arbitres, au contraire, peinent à admettre comme facultatives des liaisons qui sont prescrites par l'enseignement scolaire de la langue mais n'appartiennent pas pour autant aux usages les plus spontanés.
Liaison obligatoire
On sentira comme une erreur de prononciation (et non comme une liberté prise par rapport à la norme) l'omission d'une telle liaison, quel que soit le registre de langue (de la langue soutenue à la langue vulgaire). La liaison est obligatoire :
entre le déterminant et son nom, le nom et l'adjectif qui le précède : un enfant, les enfants, petits enfants, grand arbre, tout homme, deux ours, vingt euros
entre le pronom personnel (ainsi que on, en et y) et son verbe, ainsi que l'inverse : nous avons, elles aiment, on ouvre, ont-ils, prends-en, allons-y
dans certains mots composés et locutions figées plus ou moins lexicalisées : c'est-à-dire, de temps en temps, États-Unis, Nations unies, non-agression, petit à petit, peut-être, pied-à-terre, premier avril.
Liaison facultative
S'il existe des liaisons réellement obligatoires, d'autres ne sont « obligatoires » que dans la langue soutenue, et donc surtout lors de la diction en public de discours écrits, ou au moins influencés par l'expression écrite. De façon générale, le nombre de liaisons tend à augmenter au fur et à mesure que le style oral devient plus recherché. Voici quelques-unes de ces liaisons facultatives parmi les plus employées, mais souvent omises dans la langue familière :
entre les formes du verbe être et l'attribut du sujet : ils sont incroyables, c'est impossible, vous êtes idiots ;
entre les formes des auxiliaires avoir ou être et le participe passé : ils ont aimé, elle est allée, nous sommes arrivés ;
entre une préposition (surtout monosyllabique) et son régime : sous un abri, sans un sou, dans un salon ; elle est plus rare après les polysyllabes : après une heure, pendant un siècle ;
après un adverbe modifiant le mot qui le suit : assez intéressant, mais aussi, pas encore, plus ici, très aimable, trop heureux ;
entre un nom au pluriel et l'adjectif qualificatif qui le suit : des enfants agréables, des bois immenses, des habits élégants ;
entre un verbe et ses compléments : elle prend un billet, ils vont à Paris, nous voyageons ensemble, je crois en Dieu, il faut passer à table.
Selon leur fréquence, elles sont plus ou moins pédantes :
ils ont‿attendu avec liaison entre ont et attendu semble bien moins pédant que tu as‿attendu (rappelons que les formes courantes orales seraient plutôt [izɔ̃atɑ̃dy] et [taatɑ̃dy] voire [taːtɑ̃dy]).
Quand le mot finit par un r suivi d'une consonne muette pouvant faire liaison, la liaison n'est faite que dans un langage très apprêté ;
d'ordinaire, c'est le r en question qui fonctionne comme consonne d'enchaînement : pars avec lui [paʁ avɛk lɥi] plutôt que [paʁz‿ avɛk lɥi], les vers et la prose [le vɛʁ e la pʁoz] plutôt que [le vɛʁz‿ e la pʁoz].
Liaison interdite
Note : dans la suite on a noté par X l'interdiction de liaison.
Enfin, il est réputé incorrect de pratiquer une liaison :
après et (le t est bien étymologique, du latin et, mais la consonne correspondante s'était complètement amuïe en roman bien avant que les consonnes finales du français ne tendent à le faire, elle n'est donc jamais prononcée, comme c'est aussi le cas en espagnol y et ne saurait donc, historiquement parlant, avoir donné lieu à une liaison) ;
devant un mot débutant par un h « aspiré » (les X haricots, ils X halètent), où l'hiatus, ainsi que l'absence d'élision et d'enchaînement, sont ici obligatoires dans la langue normée ;
dans les registres courant à familier, ce phénomène, appelé disjonction, est souvent omis, soit par ignorance de l'usage, soit par plaisanterie (la fin des « zaricots »).
Dans les cas où la dernière voyelle du premier mot, ou la première voyelle du second mot est une semi-voyelle (ou glide), celle-ci se comportant alors comme une consonne.
Dans les cas suivants (cette énumération n'est pas exhaustive), la liaison potentielle serait choquante en prose, on peut donc la considérer comme interdite par l'usage courant :
Après un nom au singulier se terminant par une consonne muette :
galop X effréné, sujet X intéressant, débat X acharné, président X américain, parlement X européen – on peut ainsi opposer un nom et un adjectif homophone : un savant‿ Anglais (une personne de nationalité anglaise qui est savante : d'ordinaire, les adjectifs antéposés se lient) ~ un savant X anglais (une personne appartenant au corps scientifique qui est de nationalité anglaise) ou de même : un savant‿ aveugle ~ un savant X aveugle.
La liaison dans ces cas change le sens;
Après certains mots qui se terminent par deux consonnes dont une seule est sonore, tels que tard, tort, part, remords, toujours, nord X est, nord X ouest, il perd X un ami, je prends part X à votre deuil, à tort X et à travers ;
Dans certaines expressions figées ou mots composés : nez X à nez, un bon X à rien, corps X à corps ;
Devant certains mots commençant par les approximantes [j] et [w] : les X yaourts, un X oui mais les‿yeux, les‿ouïes (les mots excluant la liaison empêchent également l'élision, mais l'usage hésite pour certains mots comme ouate) ;
Devant quelques mots à initiale vocalique comme onze, un (en tant que numéral et non qu'article) et huit (qui a pourtant un h muet), dans certains cas : les X onze enfants, les numéros X un (pour « les numéros un », mais les‿ uns X et les‿ autres), les X huit enfants (mais liaison dans dix-huit, mot composé).
Devant une abréviation commençant par une consonne telle que [N]ou [S], comme dans : « un X SDF ».